Vertige

Exposition du DNSAP - Beaux -Arts de Paris

Le titre donné à cette installation est à la base d’un lapsus, Vestige devenu Vertige. Le vestige est l’élément restant de ce qui à été détruit. Construit pour être dégradé, il devient ruine par les passages successifs des visiteurs. Les temporalités se croisent.
 Construite comme un couloir, cette pièce suggère dès le début un choix à faire. Monter les marches désordonnées de l’escalier pour se risquer sur l‘estrade, lieu de mise en lumière, de vivre l’espace qui s’offre à la vue ou bien de contempler de l’extérieur.

«L’artiste ne veut pas instruire le spectateur. Il se défend aujourd’hui d’utiliser la scène pour imposer une leçon ou faire passer un message. Il veut seulement produire une forme de conscience, une intensité de sentiment, une énergie pour l’action.»
 Le spectateur émancipé, Jacques Rancière

Cette fondation conçue comme une armature est un espace de libertés, de l’inattendu, du kaïros. Une sorte d’abri où le corps s’offre la possibilité d’agir, de prendre conscience de l’action et du temps. Chaque geste peut influencer le futur de celui qui l’exécute, l’entropie joue contre l’inertie du lieu avec la trace. Ce lieu se désagrège, le bois se casse, les vitres tombent. L’espace garde l’empreinte du passage de l’homme qui vient s’inscrire dans la matière. Il se confronte à une temporalité du moment, une jouissance de maîtrise et de contrôle de soi sans pour autant avoir connaissance du futur et des implications. «La route que nous parcourons dans le temps est jonché des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous aurions pu devenir», disait Henri Bergson.
La construction est codifiée pour que les mouvements du quotidien soient contraint à une autre posture, une autre démarche.

«L’énergie pour l’action» est palpable à ce niveau, dans l’impulsivité créée par l’espace, les différents niveaux et hauteurs impliquent une chute, des embûches et rend une conscience du temps présent, une concentration du sujet existant.
Composée de pièces ayant été pensées séparément, ces installations sont elles-mêmes des rebuts trouvés dans la rue. Les escaliers et l’estrade, ancienne cloison, questionnent l’évolution du corps dans l’espace. Les marches sont désordonnées et contraignent la montée, l’estrade est vide. Sa surélévation laisse à voir le paysage qui se déploie et les obstacles auxquels on va se confronter. Le bois est vieux, usé, il craque sous le poids de son visiteur. Il résiste.

Puis un autre choix se profile, d’un côté de la tourbe vierge, de l’autre du composte vermoulu centenaire. La trace de notre passage s’inscrit dans la terre, texture mouvante où l’errance prend sens par le désir de l’homme, elle est piétinée, labourée. Elle abdique.
L’entropie s’inscrit dans le processus temporel du chaos. L’action est une nécessité et le geste est irréversible. Le visiteur devient acteur, il habite le temps. Une issue reste possible. Le trapèze raconte ce qu’il est, un reste. Ses contours dessinent sa signification, «ce qu’il reste» en japonais. Il est le récit d’un inachèvement, d’une impossibilité, d’un échec. «Mettre le pied à l’étrier», c’est agir pour aider, pour faire évoluer une situation. Sa hauteur le rend inaccessible. L’espoir retombe. Le tremplin quant à lui donne accès à un autre niveau, un autre angle de vue. Il propose une porte de secours, une fin autant qu’une chute.
Les vitres renvoient notre reflet sans en être un miroir parfait, elles sont transparentes. À la base, des éléments protecteurs, pare-brises d’ambulances, elles deviennent objets sous tension mis en position critique. Elles obstruent le passage et contraignent le corps à un risque.

Cette installation en bois neuf nécessite l’intervention de l’homme pour prendre de l’âge. L’espace en ruine est praticable. Son passé récent à été marqué par la présence d’un corps, d’une danse où chaque mouvement met fin au précédent. À mesure que le corps déambule, l’espace habité devient déserté. Les traces d’un passage restent. Lorsque les murs, les restes de la ruine, transpirent son histoire, le visiteur, le touriste, prend conscience des possibles dans cette surface bouleversée et constate les stigmates du chaos comme une faculté d’éprouver une liberté, un lieu où tout est à refaire, une zone échappée hors du temps.
Elle teste les matériaux, leur résistance. Elle piétine, bouscule avec lenteur. Chaque pas est étudié, prémédité, chaque mouvement est contrôlé. La proposition de Carole Quettier est celle d’une danseuse confirmée. Les choix et les propositions s’étendent à l’infini, son corps est capable de supporter, d’éprouver, de nombreuses torsions, nombreux risques et audaces. Il ne dicte pas une posture à adopter pour le prochain visiteur, il donne à l’espace une mémoire. L’écran au fond de la pièce est le témoignage de l’histoire passée, telle une archive.

Dès le début, on constate l’espace bouleversé, chamboulé. De la terre sur l’estrade, une vitre au sol, le trapèze n’est plus droit. Le visiteur est témoin et doute de ses droits.


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